“Vente d’armes électroniques : la fête est terminée”, se réjouissaient mercredi nos confrères de Reflets.info. Ils saluaient “l’adoption par le Parlement Européen d’amendements destinés à encadrer plus strictement l’exportation d’armes électroniques. Ces amendements au règlement (CE) n° 428/2009 (Format PDF) sont le fruit des travaux de la parlementaire néerlandaise Marietje Schaake.”
Suite aux révélations sur la vente d’outils d’espionnage des communications aux dictatures syriennes et libyennes par des entreprises occidentales comme Amesys ou Siemens, l’Union européenne ne pouvait pas rester immobile : le Printemps arabe a fait souffler un vent d’auto-critique sur nos institutions. Citant Numerama, Reflets se félicite encore : “un règlement en droit européen est obligatoire et d’application immédiate.”
#Censorware : ” La fête est terminée” pour @bluetouff is.gd/xjlWWJ. Mais beaucoup reste à faire pour un contrôle plus musclé.
— Felix Treguer (@FelixTreguer) Novembre 7, 2012
De là à sortir le champagne, il y a un pas, le mousseux est pour l’heure plus de circonstance, comme le signalait Félix Tréguer, de La Quadrature du Net. Il nuance :
Cette modification du règlement est le fruit de ce qui s’est passé à l’automne dernier. Cela interdit le principe d’une autorisation générale d’exportation, mais n’instaure pas non plus de contrôle a priori.
En septembre de l’année dernière, des eurodéputés ont en effet “obtenu l’accord du Conseil de l’UE pour modifier l’instrument communautaire de contrôle des exportations de biens à double usage civil et militaire, afin d’y inclure les technologies d’interception et d’analyse des communications électroniques”, expliquait-il dans une tribune sur Le Monde.
Certes, un progrès puisqu’avant, les technologies duales n’étaient pas soumises à une autorisation, laissant les États-membres libres. Toutefois, la mesure est surtout cosmétique, soulignait-il :
Les pressions du gouvernement allemand ont amené les eurodéputés à renoncer à un système de contrôle a priori des technologies de censure. Les entreprises pourront ainsi déclarer leurs exportations jusqu’à trente jours après la livraison du matériel. En outre, il incombera aux seuls États membres de s’assurer du bon respect de ces règles, et il y a fort à parier que les considérations commerciales l’emporteront sur les engagements moraux.
De même, la “Strategy No disconnect”, initiée par la Commission européenne en décembre 2011, n’a pas de quoi faire vraiment trembler les entreprises visées. Il n’est pas question de contrainte. Dans son discours de présentation, la vice-présidente de la CE en charge de l’agenda numérique Neelie Kroes avait ainsi parlé de “stimuler les entreprises européennes pour qu’elles développent des approches d’autorégulation (ou d’en rejoindre des existantes, telles que la Global Network Initiative), de façon à ce que nous cessions de vendre aux dictateurs des armes de répression numériques”.
La CE travaille aussi sur un projet de surveillance de la censure sur Internet. L“European Capability for Situational Awareness” (ECSA), “essayera d’assembler, d’agréger et de visualiser des informations mises à jour sur l’état de l’Internet à travers le monde”. Bref, pas grand chose d’innovant susceptible de faire bouger le dossier.
Le renforcement du contrôle dépend désormais de l’attention que portera la Commission européenne à un rapport [pdf] de la commission des affaires étrangères (AFET), “sur une stratégie pour la liberté numérique dans la politique étrangère de l’UE”, conduit sous la houlette de Marietje Schaake de nouveau.
Ce texte est un appel du pied à la CE pour qu’elle modifie davantage encore la loi, dont elle a seule l’initiative. Mardi, le rapport a été adopté par l’AFET. Les points 12 à 19, dans la partie “commerce”, sont une incitation claire et forte à aller plus loin :
13 – se félicite de l’interdiction visant l’exportation à destination de la Syrie et de l’Iran de technologies et de services utilisés à des fins de répression ; estime que cette interdiction devrait constituer un précédent pour la mise en place de restrictions structurelles, telles qu’une clause “fourre-tout” applicable à l’échelle de l’Union ou l’établissement de listes spécifiques par pays dans le cadre réglementaire relatif aux biens à double usage ;
14 – souligne la nécessité de contrôles plus rigoureux de la chaîne d’approvisionnement et de régimes plus stricts de responsabilité des entreprises en ce qui concerne la commercialisation des produits – depuis les équipements jusqu’aux dispositifs mobiles – et des services pouvant être utilisés pour restreindre les droits de l’homme et la liberté numérique ;
15 – considère certains systèmes et services ciblés de brouillage, de surveillance, de contrôle et d’interception comme des biens à usage unique dont l’exportation doit être soumise à autorisation préalable ;
Le vote aura lieu en session plénière en décembre. Libre ensuite à la Commission européenne d’entendre cet appel. Ou de continuer de tendre une oreille attentive aux lobbies.
Depuis le début du mois d’avril, des milliers d’emails de dirigeants du parti Ennahdha, au pouvoir en Tunisie, sont piratés et diffusés par les Anonymous. Hier, une nouvelle vague de fuites contenait des documents potentiellement embarrassants pour les dirigeants d’Ennahdha. Ces courriels proviennent du ministre de la l’Agriculture, Mohamed ben Salem.
On peut y lire en particulier un procès-verbal du bureau exécutif d’Ennahdha daté du 19 mars dernier (en arabe). Le document indique que les membres du bureau ont évoqué l’idée d’une opération de déstabilisation contre les institutions internationales qui participent au soutien financier de la Tunisie – soit le FMI, l’Union européenne et la BCE – avant de se rétracter.
Lors de cette même réunion, il a également été question de trouver des solutions pour intégrer des éléments de charia dans le droit tunisien. Même si publiquement le parti Ennahdha revendique la culture musulmane mais se défend de vouloir faire appliquer la charia.
Cette découverte en accompagne des dizaines d’autres. Jusqu’ici, 3 500 documents appartenant notamment au Premier ministre Hamadi Jebali ont été mis en ligne sur des serveurs des Anonymous. Dans ces listes de courriels, il est aussi question de fraudes électorales, de censure ou d’opérations financières.
Ennahdha, majoritaire à l’assemblée constituante, et le gouvernement démentent mordicus la véracité d’une partie des documents. De son coté Anonymous, assure de leur authenticité et promet de nouvelles révélations sur les coulisses du pouvoir de ces deux dernières années.
En octobre 2011, neuf mois après le départ de Ben Ali, qui profite désormais de sa retraite de dictateur dans une salle de sport en Arabie Saoudite, les premières élections libres ont eu lieu en Tunisie. Celles-ci ont pour but la création d’une Assemblée constituante qui devra rédiger la prochaine loi fondamentale du pays. Après décompte, les membres du parti islamiste Ennahdha sortent très largement vainqueurs du scrutin et raflent 89 sièges sur les 217 que compte la nouvelle Assemblée.
Un rapport de l’organisme supervisant l’élection aurait même été déposé pour annuler les votes du bureau de Bruxelles Nord pour cause d’irrégularités.
La légitimité de la première force politique du pays est, potentiellement, sujette à caution si les documents s’avéraient authentiques. D’autant que le nouveau gouvernement ne semble pas avoir souhaité partager le pouvoir. C’est tout du moins ce qu’explique un des membres d’Anonymous Tunisia avec lequel OWNI s’est entretenu :
Nous avons attaqué Hamadi Jebali parce qu’il est le symbole d’un gouvernement qui fait marche arrière sur les libertés, pas parce qu’il fait parti d’Ennahdha. Le gouvernement est responsable d’actes d’agressions commis contre des manifestants chômeurs et du lancement d’une cellule de sécurité pour censurer et contrôler Internet. Le fait d’être élu par le peuple n’est pas une raison pour s’en prendre à nos libertés.
D’ailleurs, dans les mails publiés, un document atteste de l’exclusivité du pouvoir voulue par des responsables du parti islamiste. Celui-ci évoquait la possible suppression par la télévision nationale du terme “transitoire” pour qualifier le gouvernement en place.
Majoritaire à l’Assemblée constituante, Ennahdha a officiellement envisagé jusqu’à la fin mars, d’intégrer la loi islamique dans la nouvelle constitution du pays. Ennahdha, encore, discutait en interne de la nécessité de garantir la non-indépendance de la Banque centrale tunisienne et déplorait dans un autre document “la pression européenne et française pour accélérer le processus démocratique”.
Mais la ligne politique adoptée par le gouvernement transitoire n’est pas l’unique élément abordé dans ces courriels. Des affaires financières, plus troubles, semblent y apparaître. Comme ce courrier envoyé sur la boîte mail du parti Ennahdha et contenant les coordonnées bancaires de Kamal Ben Amara, un élu Ennahdha à l’Assemblée constituante, titulaire d’un compte à la Qatar international islamic bank. Avant de s’engager en politique il aurait travaillé chez Qatar Petroleum, la compagnie pétrolières nationale du riche État du Qatar, comme le montre un ancien répertoire du groupe. Et dans l’actuel gouvernement ben Amara a été nommé vice-président à la Commission de l’énergie.
À ce titre, il fait partie des membres du gouvernement habilités à négocier, entre autres, les investissements dans la raffinerie de Skhira, la plus grande de Tunisie, avec une production estimée à 120 000 barils par jour. Coût de construction : 1,4 milliard d’euros. Un appel d’offres remporté par Qatar Petroleum qui pourra l’exploiter en partie pour les deux décennies à venir.
En outre, dans les coordonnées bancaires envoyées par mail à Ennahdha, figure un “Swift Code” utilisé pour les virements internationaux. Le problème étant de savoir dans quel sens les virements bancaires ont été effectués. De Kamal Ben Amara vers Ennahda ou du parti vers Ben Amara, pour les besoins de sa campagne électorale par exemple.
Devant les nombreuses interrogations que posent ces documents, aussi bien dans leurs contenus que sur leur authenticité, Anonymous invite les internautes qui le peuvent à vérifier sans tarder:
Les emails comme les SMS et les moyens de communication électroniques sont devenus des pièces justificatives devant les tribunaux. Les en-têtes des emails confirment les sources et les trajets des courriels via leur identifiant unique. S’ils étaient falsifiés, tout le monde le remarquerait et surtout les spécialistes en informatique. J’invite tous ceux qui doutent à vérifier.
Début avril, le gouvernement tunisien a annoncé qu’il maintenait en activité l’Agence tunisienne d’Internet pour lutter contre la cybercriminalité. Sous la dictature, l’agence gérait la censure sur Internet pour le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), l’ancien parti de Ben Ali. Dans le principe de “sécurisation du web”, Anonymous voit un retour masqué de la censure. Incompatible, selon le collectif, avec la garantie des libertés individuelles :
Ceux qui gèrent le pays sont ceux qui doivent assumer. Mais si le Gouvernement change de ligne de conduite, surtout concernant la censure du net, Anonymous fera un pas en arrière.
Lorsque Leila Trabelsi épouse Zine el Abidine Ben Ali en 1992, la nouvelle première dame et les siens ne sont pas les bienvenus au Palais de Carthage. Et pour cause ! Quelques hommes liés au président Ben Ali se sont déjà mis à table. Leurs noms ?
A force d’intrigues de palais, Leila Ben Ali parviendra à mettre sur la touche tout ce beau monde. Un mystérieux incendie provoqué par des individus masqués ravage, une nuit de 1996, des entrepôts appartenant à Kamel Eltaief, soupçonné d’y entreposer des dossiers compromettants sur Leila. Le règne des Trabelsi vient de commencer…
Le clan de la première dame commence par jeter son dévolu sur des terrains appartenant à l’État, de préférence inscrits au patrimoine historique car ils ont une plus grande valeur marchande. La méthode employée est bien rodée :
Si on ne compte plus les terrains que les Trabelsi se sont ainsi appropriés, certains scandales ont marqué les esprits : c’est le cas du parc du château présidentiel de Skanès, à Monastir. L’édifice est pourtant chargé d’histoire puisque au début des années 1990, le roi Hassan II du Maroc avait tenté de l’acquérir pour l’offrir à l’ancien président Bourguiba, destitué par Ben Ali en 1987, afin de lui permettre de finir paisiblement sa vie. Les Trabelsi-Ben Ali n’en ont cure. Le chef de l’État en personne fait déclasser le parc au profit des Trabelsi qui le divisent alors en lots de 600 m2 où des villas de standing sont construites. Choquant ? Ce n’est rien comparé au hold-up que le clan de Leila s’apprête à commettre sur de nombreuses entreprises tunisiennes.
Dans son entreprise de pillage de la Tunisie, Leila Ben Ali peut compter sur le soutien et la complicité sans faille de son frère aîné, Belhassen Trabelsi. Quelques jours à peine avant la chute du président Ben Ali, ce dernier annonçait encore qu’il prenait des parts supplémentaires dans une société d’assurances… Comme peuvent en témoigner de nombreux chefs d’entreprises, les méthodes employées par « Monsieur frère » relèvent de comportements mafieux. Par exemple, en 2006, une lettre anonyme – mais dont les auteurs sont parfaitement informés sur les turpitudes des Trabelsi – est postée sur le Net. Elle relate les malheurs d’un promoteur d’une université privée ayant eu maille à partir avec le frère de Leila : le pauvre promoteur en question « a eu le malheur de voyager en compagnie de Belhassen Trabelsi sur un vol de Tunisair et a eu la saugrenue idée de solliciter son intervention pour l’acquisition d’un terrain afin d’y construire le bâtiment de l’université. Il sera rappelé quelques jours plus tard par l’AFH (Agence foncière d’habitation) qui l’informe qu’un terrain de quatre hectares lui a été octroyé, mais au nom de Belhassen Trabelsi !»
Toutefois, le point d’orgue du parcours de « Monsieur frère » reste son arrivée comme actionnaire ou administrateur dans une société de bonne facture. Il l’a montré en 2008 dans l’affaire de la Banque de Tunisie. Avril 2008. Une certaine Alya Abdallah, épouse d’Abdelwaheb Abdallah, alors ministre des Affaires étrangères qui fait office de valet des Trabelsi, est nommée présidente de la Banque de Tunisie (à ne pas confondre avec la Banque Centrale de Tunisie dont Leila aurait allégé les coffres d’1,5 tonnes d’or). Alya Abdallah jouit pourtant d’une réputation sulfureuse. Alors qu’elle officiait comme présidente du conseil d’administration de l’UIB (Union internationale de banques), une filiale de la Société Générale, le très sérieux cabinet Deloitte avait refusé de certifier les comptes de la banque. Trop de créances douteuses ! Cette casserole n’empêchera pas Alya Abdallah de faire entrer le loup dans la bergerie dès sa prise des commandes de la Banque de Tunisie : elle se dépêche de nommer Belhassen Trabelsi comme administrateur. Aux dernières nouvelles, la banquière aurait été chassée de la présidence de la Banque de Tunisie par ses salariés.
D’origine modeste — son père vendait des fruits secs —, Leila Ben Ali aura eu une obsession tout au long de son règne : s’élever socialement. Son petit moteur à elle, qui lui fera emprunter une autre voie que celle des salons de coiffure auxquels la destinait son CAP de coiffeuse. C’est dans cette optique qu’elle arrange le mariage de sa fille Nesrine avec le jeune Sakhr Materi qui appartient à cette puissante bourgeoisie tunisoise d’origine turque et que l’on appelle les Beldis.
Le jouvenceau filait le parfait amour avec une autre ? Leila fait convoquer l’amoureuse éplorée au commissariat qui, à l’issue d’une garde-à-vue houleuse de 48 heures, préfèrera s’exiler en France, le cœur brisé. Sakhr Materi, lui, deviendra en quelques années, un véritable tycoon à la sauce tunisienne avec un penchant pour les produits à connotation islamiste. Il possède en effet la radio Zitouna qui diffuse des versets du Coran et la banque éponyme, le premier établissement bancaire islamiste du pays. Son mode de vie flamboyant est lui bien éloigné des préceptes du Coran même si le jeune homme est très pratiquant. Après avoir récupéré un vaste terrain à un prix ridicule, Sakhr Materi s’y fait construire une maison de 3000 m2 couverts incluant une mosquée et un zoo personnels. Le tout sera bien sûr foulé au pied (et son tigre tué) lorsque la foule s’en prendra aux biens mal acquis des clans du pouvoir lors de la révolution du Jasmin.
Seuls véritables maîtres à bord de Carthage dès 1998, les Trabelsi peuvent continuer leur entreprise de pillage sans la moindre retenue. Même Leila ne prend plus de gants. En 2007, la première dame inaugure l’École internationale de Carthage, un établissement privé du secondaire. Hélas, cette nouvelle école souffre de la concurrence d’une autre, autrement plus prestigieuse : le lycée Louis Pasteur créé par les époux Bouebdelli qui jouit d’une excellente réputation et que les rejetons de la nomenklatura ont l‘habitude de fréquenter. Qu’à cela ne tienne ! A force de tracasseries administratives, d’autorisations d’enseigner retirées du jour au lendemain et d’une épouvantable campagne de diffamation ciblant les Bouebdelli, Leila fera fermer le lycée Louis Pasteur. Écoeuré, son responsable, Mohamed Bouebdelli entre en résistance et écrit en 2009 un livre qui propose de construire une nouvelle Tunisie.
En bons chefs de clan, le couple Ben Ali a toujours veillé à ce que chacun ait droit à sa part du gâteau. A ce titre, le partage du secteur des voitures importées, de préférence de luxe, est exemplaire. Ainsi, la société Ennakl qui distribue Audi, Volkswagen et Porsche a été privatisée au profit de « Monsieur gendre » alias Sakhr Materi. Belhassen Trabelsi, possède, lui, l’entreprise qui commercialise Ford et Jaguar. Un des gendres de Ben Ali, Marouane Mabrouk, détient l’entreprise Le Moteur qui a été privatisée à son profit et commercialise les voitures Fiat et Mercedes. Enfin, la société Renault-Berliet a été rachetée par les frères Mzabi, des alliés de l’ancienne première dame.
Alors que le système mafieux Trabelsi-Ben Ali est tombé, se pose maintenant la question ô combien épineuse de la confiscation de leurs biens mal acquis et de leurs avoirs disséminés à travers le monde. Un autre sujet…
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Article de Catherine Graciet
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