Caméras myopes contre le terrorisme

Le 23 mars 2012

Lors de l'assassinat de deux militaires du 17e régiment du génie parachutiste à Montauban, jeudi 15 mars, les enquêteurs ont pu suivre sur quelques centaines de mètres, en différé, la fuite du scooter noir grâce aux caméras. De maigres informations qui demandaient confirmations, venues de témoins, et dont l'exploitation entière nécessitait des jours de travail.

Face à une discrète caméra, il faut sonner et montrer patte blanche pour atteindre le premier étage. A l’intérieur des locaux de la police municipale, le centre de supervision urbaine (CSU) est particulièrement protégé. Les escaliers gravis, s’ouvre une pièce spacieuse.

Au mur, 26 moniteurs, dont deux grands écrans. Ils projettent les images des 47 caméras de vidéosurveillance installées à Montauban sur la voie publique. Avec un ratio de 1 234 habitants par caméra, la ville a un taux d’équipement élevé, au point qu’elle aurait pu figurer à la 7e position de notre palmarès des villes les plus vidéosurveillées.

Le 15 mars, quatre d’entre elles ont filmé les premiers instants de la fuite du pilote de scooter qui venait de tirer à bout portant sur trois militaires ; deux sont morts sur le coup, le troisième est très grièvement blessé.

Suivi en différé

Le directeur de la police municipale de la ville, Yves Lafourcade, raconte :

Dès qu’ils sont arrivés sur place, les pompiers et la police nationale nous ont appelés pour qu’on regarde sur nos écrans. Aucune caméra n’avait directement accès à la scène mais l’opérateur a utilisé une caméra proche.

L’opérateur chargé de la vidéosurveillance cet après-midi là, jeudi 15 mars, rembobine les bandes “de trois minutes” selon Yves Lafourcade. Il est seul – son binôme est en arrêt maladie – et ne tient pas à nous parler, affirme son chef. Avec ce différé de quelques minutes, il retrace la première minute du trajet du fuyard à partir des signalements donnés par des témoins du crime.

L’opérateur suit sur quelques centaines de mètres le scooter noir qui passe le long des berges du Tarn. Puis le perd. Les enquêteurs ont une indication sur la direction générale. Une caméra située dans la zone industrielle Sud confirme qu’il n’a pas emprunté la route de Toulouse, ni la rocade, elle aussi équipée de caméras.

Par déduction, les policiers supposent que le conducteur du scooter a pris une autre route pour sortir de la ville, qui file vers le Sud elle aussi. La confirmation est donné par un automobiliste. Dans l’après-midi, jeudi, il contacte les autorités pour signaler la présence d’un motard roulant à grande vitesse, qui l’a doublé à “au moins 130 km/h”.

“La vidéosurveillance permet d’ajouter des éléments à l’enquête” avance le directeur de la police municipale, rejoint par Brigitte Barèges, député-maire (UMP) de Montauban :

Une enquête policière s’appuie sur une série de pistes. Certaines n’aboutissent pas, mais tout est utile.

Mardi matin, lors de la visite des grands magasins dans le centre de Toulouse, le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, avait confirmé que les images de vidéosurveillance n’avaient pas été très bavardes.

Dimanche soir, trois jours après le double assassinat de Montauban, “un expert informatique, accompagné d’officiers de la SRPJ [Service régional de la police judiciaire, NDLR], sont venus recueillir les bandes vidéos de la ville” précise Brigitte Barèges, député-maire UMP de Montauban :

Ils ont pris une semaine d’enregistrement.

Soit plus de 7800 heures, des milliers d’heures qui nécessitent au moins une semaine pour être exploitées. Légalement, les bandes de vidéosurveillance peuvent être conservées jusqu’à un mois. A Montauban, cette durée est restreinte, regrette Yves Lafourcade :

Les capacités de stockage limitées contraignent le CSU à ne les garder qu’une semaine.

Matière surabondante

Sept fois 24 heures de 47 caméras enregistrées donnent une matière surabondante aux forces de police. Les enquêteurs y cherchent une éventuelle reconnaissance des lieux, puisque l’assassin semblait connaître les lieux et les rues de la ville.

Enquête en bas débit

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Les 47 caméras sont installées à des intersections, détaille le directeur de la police municipale. “Des caméras dômes” qui peuvent être pilotées par les opérateurs. Dans le CSU, leur plan de travail est divisé entre les moniteurs au mur et un écran d’ordinateur sur leur bureau.

Avec, au choix, un joystick, un clavier ou une souris, ils peuvent prendre le contrôle des caméras pour les faire tourner sur elles-mêmes ou zoomer sur un point. “Un zoom x26″ précise l’un des opérateurs présents. Sur l’écran d’ordinateur s’affiche le plan des rues autour de la caméra et en couleur le spectre balayé par la caméra.

Lorsqu’un opérateur agrandit la façade d’un immeuble privatif, un cache apparaît sur les fenêtres. Une mesure obligatoire. Étonnamment, les images restent en clair lorsque la caméra dézoome. En 2006, la ville comptait 24 caméras, installées sous l’impulsion de Brigitte Barèges, élue en 2001. Jeudi, elle défendait vigoureusement ces choix locaux, et d’autres à l’échelle nationale :

Je suis moi-même avocat, opposée à la peine de mort et attachée aux libertés publiques. Ceci dit, les libertés publiques supposent aussi que la société se protège. C’est la raison pour laquelle nous avons voté la LOPPSI 2 afin de renforcer notamment la lutte contre le terrorisme.

Dans la LOPPSI, nous avions voté tout un chapitre pour pouvoir utiliser les fichiers et avoir des contrôles sur les adresses IP. Toutes ces mesures permettent d’aller un peu loin dans la vie privée des gens, mais les nécessités l’imposent, on le voit bien aujourd’hui.

Le maire PS de Toulouse, Pierre Cohen, a répété jeudi sa méfiance envers la vidéosurveillance, alors que l’installation de 642 caméras “sécuritaires” dans le métro et le tram était reportée :

La vidéoprotection est présentée par certains comme la solution miracle pour cacher les difficultés à juguler la délinquance, mais elle pose des problèmes en matière de libertés.


Illustration et couverture par Marion Boucharlat pour Owni /-) Photos additionnelles par Pierre Alonso

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