Auteurs-éditeurs: la guerre numérique est-elle déclarée ?
Lancé initialement par les auteurs de BD, un mouvement plus large des auteurs semble en train de décoller, avec l’Appel du numérique des écrivains et illustrateurs de livres. Publication des extraits de la pétition et commentaires par iPh, nouveau venu sur la soucoupe.
Lancé initialement par les auteurs de BD, un mouvement plus large des  auteurs semble en train de décoller, avec l’Appel  du numérique des écrivains et illustrateurs de livres. Comme on  pouvait s’en douter, les questions d’argent sont au cœur de la prise de  conscience des auteurs. Publication des extraits de la pétition et  commentaires par iPh, nouveau venu sur la soucoupe.
La « révolution numérique » du livre se  passe ici et maintenant, à marche forcée, et sans les auteurs. (…)
• Comment et sur quoi seront rémunérés  les auteurs ? De quoi vont-ils vivre ? 
• Quels seront les circuits et systèmes d’exploitation des livres numériques ? Qui seront les vrais commerçants de ce marché numérique qui reste à construire ?
• Comment l’éditeur va-t-il adapter au numérique les usages établis de l’exploitation permanente et suivie qui sont au cœur de son métier : vente active, promotion, disponibilité permanente du « produit » ?
•  Pourquoi les auteurs devraient-ils céder leurs droits numériques leur  vie durant et même 70 ans après leur mort ?
Au lieu d’ouvrir le débat, le Syndicat  National de l’Édition et chaque éditeur essaient d’imposer sa règle et  ses conditions.
Mais les auteurs ont maintenant bien  compris que si le livre numérique est vendu deux ou trois fois moins  cher que son équivalent papier, si la TVA appliquée au livre numérique  (19,6 %) est presque quatre fois plus élevée que celle applicable au  livre papier (5,5 %), même si leurs éditeurs leur proposent un  pourcentage identique pour le livre numérique que pour le livre papier,  mécaniquement cela entraîne une baisse très importante de leur  rémunération.
Nous pouvons légitimement nous demander  si les éditeurs ne nous considèrent pas, ainsi que nos droits d’auteur,  comme de simples variables d’ajustement dans l’économie du livre  numérique. (…)
Nous voulons que la cession des droits  numériques fasse l’objet d’un contrat distinct du contrat d’édition  principal.
Nous voulons que la cession des droits  numériques soit limitée précisément dans le temps afin d’être réellement  adaptable et renégociable, au fur et à mesure, de l’évolution des modes  de diffusion numérique.
Nous voulons que toute adaptation  numérique des livres soit soumise à la validation des auteurs et que  ceux-ci soient cosignataires de toute cession à un tiers des droits  numériques. (…)
Gardons nos droits numériques pour faire  entendre notre voix.
• Premier point : la « révolution numérique » dans  le livre se passe surtout… à reculons. Aucun des éléments du « système livre » de la chaîne papier  (auteur, éditeur, diffuseur, distributeur, détaillant c’est-à-dire  libraire) ne semble pressé d’y plonger. C’est le succès inattendu des  liseuses depuis deux ans qui a créé une pression sur un monde n’ayant  montré, depuis quinze ans, qu’une relative indifférence (voire une  défiance) vis-à-vis d’Internet. De mon point de vue, les auteurs ne  sont pas les mieux placés pour donner des leçons aux éditeurs : les deux  nagent dans l’immobilisme et, souvent, la méconnaissance de la culture  Internet. Combien d’auteurs tiennent un blog ou un site d’échange avec  leurs lecteurs ? Combien ont un site dédié à chacun de leur livre ?  Combien préfèrent un chat avec lecteurs à une émission de promo sur une  télé ou une radio ? Combien se sont enthousiasmés des possibilités  nouvelles d’écriture et de partage à l’âge numérique, ou ont simplement  réfléchi à leur conception personnelle de la propriété intellectuelle ?
• Deuxième point : Internet n’est pas  une grande librairie avec un vigile devant chaque livre. Conséquence du point précédent : les  auteurs envisageant Internet comme un simple marché, une sorte de grande  libraire virtuelle qui va uniquement permettre de nouveaux débouchés à  leurs œuvres, se préparent des lendemains qui déchantent. D’abord,  contrairement à ce qui se passe dans beaucoup de librairies physiques,  ces auteurs vont se retrouver en compétition avec bien plus d’autres  œuvres dans la même catégorie que la leur, dont certaines gratuites.  Ensuite, sur Internet, les lecteurs ont un comportement actif : ils ne  subissent pas le matraquage du système de promotion marketing et  médiatique, mais fabriquent la réputation des livres, aussi bien dans  les commentaires ouverts des librairies en ligne que sur les réseaux  sociaux, le microblogging, les blogs de critique, les forums, etc. Le  livre numérique sera un « livre social ». Enfin, la numérisation du  livre change ses conditions de production : il y aura de plus en plus  d’auto-édition, de micro-édition, de wiki-édition (voir  ici) et la première exigence d’un auteur devrait être de réfléchir  aussi à ces modes d’écriture et de diffusion, au lieu de délivrer un  message uniquement corporatiste axé sur ses revenus à court terme.
• Troisième point : le droit d’auteur  est inadapté à l’ère numérique (surtout sa cession à l’éditeur). On l’observe dans la pétition, l’idée de  céder ses droits à l’éditeur toute sa vie et soixante-dix ans après sa mort  devient absurde dans un système à évolution rapide. Personne ne sait ce  qu’il en sera de la diffusion numérique du livre dans dix ans ou dans cinquante  ans. Il est impossible de demander à l’auteur numérique de signer un  chèque en blanc sur l’avenir. L’éditeur devra plier et accepter des  contrats révisables (par exemple tous les cinq ans). Mais les auteurs  doivent de leur côté comprendre que l’inadaptation du droit d’auteur est  bien plus profonde. C’est toute la propriété intellectuelle littéraire  et artistique qui devient problématique à l’âge numérique, car elle a  été pensée pour le papier, et selon des conditions d’exclusivité longue  (patrimonialité sur près d’un siècle, voire plus) devenues à la fois  incompréhensibles pour les lecteurs, intenables dans les technologies  numériques, nuisibles pour le bien commun que constitue l’accès à la  culture et à la connaissance de son temps. Sur les problèmes du  « piratage », les auteurs soucieux de leur image devraient réfléchir à  deux fois aux enjeux pratiques et symboliques de cette question sur le  Net, avant de jouer les idiots utiles des Hadopi et autres mesurettes du  flicage politico-industriel.
• Quatrième point : la baisse de revenu  est inévitable dans le système actuel du livre, elle ne peut être  conjurée que par un modèle entièrement nouveau. Le problème va au-delà de la TVA ou du  prix unique. Sur l’Internet, les contenus sont ubiquitaires,  innombrables, souvent gratuits ou peu coûteux. Les normes de  consommation culturelle évoluent en conséquence : le comportement de  l’acheteur numérique n’est pas celui de l’acheteur physique. Le lecteur  n’est pas prêt à payer cher pour un livre numérique, et la tendance ira  très probablement à la baisse à mesure que la compétition entre livres  coûteux / peu coûteux / gratuits s’accentuera. Les industries de  contenus (musique, presse, cinéma) ne préservent leurs revenus qu’en  inventant de nouveaux modèles économiques, non centrés exclusivement sur  la vente d’un bien – qui risque fort de devenir, à court terme, l’accès  provisoire à un contenu (location de livre dans le cloud et non  accumulation de fichiers, par exemple pour tous les livres de  « divertissement » formant des grosses ventes en poche).
• Cinquième point : « le livre » en  toute généralité ne signifie rien, chaque secteur du livre a des  revenus, des contraintes et des perspectives différentes à l’ère  numérique. La numérisation du  livre ne va nullement affecter de la même manière les romans, les guides  pratiques, les BD et livres de jeunesse, les livres d’art, les  encyclopédies, les travaux universitaires et scientifiques, les essais,  les manuels scolaires. Aujourd’hui fondues dans la même chaîne du livre  en raison du format final unique (un objet papier), ces écritures sont  en réalité très différentes. Par exemple, elles ne procurent pas les  mêmes revenus (la meilleure vente essai est très en dessous de la  meilleure vente roman ou BD), leurs contenus sont plus ou moins  évolutifs, leur transition multimédia a plus ou moins de sens, leur  circulation en copie privée (dite piratage) est plus ou moins simple,  etc. Ni les auteurs ni les éditeurs n’ont les mêmes préoccupations selon  le secteur concerné, qu’il s’agisse des questions économiques relatives  aux revenus ou des questions pratiques relative à l’écriture, à sa mise  en page, sa mise en ligne et sa mise à jour.
• Sixième point : les éditeurs sont sur  la sellette face à de nouveaux concurrents et doivent clarifier leur  position. A l’ère numérique, les  coûts de production et de diffusion sont considérablement allégés, et  les éditeurs doivent affronter de nouveaux concurrents. Aussi bien les  fabricants de liseuse (Apple, Sony) que les distributeurs et agrégateurs  (Amazon, Google) vont proposer de meilleures conditions aux auteurs  (Amazon teste des formules à 70% de revenus sur les ventes, sans céder  ses droits). Ils donnent à l’auteur la possibilité de toucher des  publics plus nombreux : le tirage moyen d’un livre papier est de 9340  exemplaires (ministère de la Culture 2010), et un grand nombre d’auteurs  (romans, essais) doivent se contenter de bien moins, quelques  centaines, au mieux quelques milliers d’exemplaires papier perdus dans  le réseau physique des libraires. Les éditeurs doivent donc repenser  leurs offres aux anciens auteurs du monde papier, mais surtout aux  futurs auteurs du monde numérique. La priorité du moment me semble  d’obliger ces éditeurs à clarifier leurs positions, et cela autrement  que par le rapport de force individuel auquel ils étaient habitués en  raison de l’argument-massue : la production-diffusion-promotion du livre  papier à l’âge industriel était inaccessible à l’auteur individuel, ce  qui sera de moins en moins le cas.
• Conclusion : En attendant que les évolutions concrètes  éclaircissent les enjeux secteur par secteur, la protection minimale de  tous les auteurs consiste en effet à revendiquer un contrat  numérique à part entière (non un  simple avenant au contrat papier), avec cession courte des  droits à l’éditeur (maximum cinq  ans) et négociation sur la part des royalties dans le prix final du livre numérique.  Pour cette raison, je soutiens la pétition avec toutes les réserves  indiquées ci-dessus.
Billet initialement publié sur Mon iPhone m’a tuer


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